Pourquoi?
Ce qu’en dit la recherche
Traditionnellement mis en œuvre de façon monolingue (Larouche, 2018), l’enseignement grammatical est de plus en plus étudié en recherche dans le cadre d’approches plurilingues. En positionnant la diversité linguistique comme pilier des activités réflexives sur la langue en salle de classe (De Pietro, 2003), le personnel enseignant est susceptible de faire comprendre aux élèves que toutes les langues sont en fait régies par un fonctionnement grammatical; de ce fait, il peut désacraliser la grammaire française, laquelle est souvent perçue comme complexe et inaccessible.
Sur le plan cognitif, par ailleurs, le personnel enseignant qui fait usage d’approches plurilingues en grammaire est susceptible de favoriser les transferts qui s’opèrent entre les langues lorsque les élèves apprennent le français (Maynard, 2022). Un tel détour par d’autres langues favorise donc le développement des capacités métalinguistiques (Lamy de la Chapelle et Garcia Debanc, 2022), car les élèves, en mettant en perspective le fonctionnement de différentes langues, prennent un pas de recul quant à la notion à l’étude, la relativisent et retracent les similitudes et les différences linguistiques de son fonctionnement dans différentes langues. L’élève peut ainsi, et de manière concrète, comprendre que son répertoire linguistique, aussi pluriel soit-il, est en fait un outil qui peut être mobilisé dans la résolution de problèmes grammaticaux.
La recherche, par ailleurs, a récemment commencé à s’intéresser à la mise en œuvre du paradigme de la grammaire nouvelle, privilégié par les instances ministérielles ontariennes, dans le cadre d’approches plurilingues (Thibeault et Maynard, 2022; Thibeault, Maynard et Boisvert, 2022). Par exemple, en français, l’élève peut notamment repérer le complément de phrase à l’aide des manipulations syntaxiques d’effacement et de déplacement. Par exemple, dans la phrase Je vais à l’école chaque matin, le groupe du nom chaque matin peut être effacé et déplacé sans que le statut grammatical de la phrase en soit affecté; ces caractéristiques en font donc un complément de phrase. Grâce aux approches plurilingues, au moment de l’enseignement de la manipulation syntaxique ciblée ou afin d’approfondir les connaissances qu’en détiennent les élèves, il peut être pertinent de se pencher sur l’usage de cette manipulation à partir de phrases écrites dans d’autres langues que le français : peut-elle être appliquée? S’applique-t-elle de la même manière? Il est ainsi probable que le contexte dans lequel se construisent les connaissances liées à la manipulation soit des plus significatifs pour les élèves et que, de ce fait, leurs apprentissages résistent à l’épreuve du temps.
Pour aller plus loin
Cinq articles clés
- De Pietro, J.-F. (2003). La diversité au fondement des activités réflexives. Repères, (28), 161-185.
- Maynard, C. (2022). Forces et limites d’un dispositif plurilingue pour soutenir l’apprentissage de l’orthographe grammaticale française par des élèves bi/plurilingues. Revue canadienne de linguistique appliquée, 25(3), 66-92.
- Thibeault, J. (2023). Faire de la leçon de grammaire un lieu inclusif : trois principes pour orienter les pratiques d’enseignement. Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques.
- Thibeault, J. et Maynard, C. (2022). Quand les enseignants de français utilisent le métalangage et les manipulations syntaxiques dans plusieurs langues. La Revue de l’Association québécoise des enseignants de français langue seconde, 35(1).
- Thibeault, J., Maynard, C. et Boisvert, M. (2022). Exploration de pratiques plurilingues et plurinormatives pour enseigner la grammaire en Ontario francophone. Éducation et francophonie, 50(3).
Ce qu’en dit le personnel enseignant
Les extraits ci-dessous sont tirés d’une étude réalisée par Joël Thibeault, professeur à l’Université d’Ottawa, et Catherine Maynard, professeure à l’Université Laval. Les propos qui sont rapportés ont été tenus par des personnes enseignant au sein d’écoles ontariennes de langue française. Leur nom, pour des raisons éthiques, a été modifié par un pseudonyme.
« L’enseignement de la grammaire ne contribue pas à l’insécurité linguistique. C’est le fait de ne pas tenir compte des besoins linguistiques des élèves […] qui pourrait mener à ça. »
Josée, enseignante au secondaire dans l’Est ontarien
« Il y en a qui vont voir ça comme un frein jusqu’à ce qu’ils commencent à creuser et qu’ils voient qu’il y a beaucoup de similarités entre les langues. Ça ajoute toujours une richesse au vécu des élèves. Je sais, quand on fait les activités, ce sont les activités qu’ils se souviennent, d’année en année. »
Sabrina, enseignante au secondaire dans le Nord-Est ontarien
« C’est, disons, une ouverture sur des concepts ou des règles qu’on voit de façon générale, mais qui sont peut-être, je ne sais pas, vues dans une autre optique. Comme souvent, quand on enseigne de façon linéaire, je veux dire les élèves, ça rentre dans une oreille, ça sort de l’autre, ou c’est difficile à maîtriser. Mais quand on tient compte du plurilinguisme, je trouve que les élèves font plus de liens. C’est là où le vrai apprentissage arrive. C’est là où ça se produit. C’est là où ils peuvent faire des liens, faire une enquête par eux-mêmes, exercer leur pensée critique, mieux maîtriser. »
Sabrina, enseignante au secondaire dans le Nord-Est ontarien
« L’un des grands défis de la langue française, c’est qu’elle est ce qu’elle est et, malheureusement, les élèves voient ça comme un immense obstacle. Moi, quand je leur dis : ʺc’est pas grave si tu te mélanges d’une langue à l’autre, c’est pas grave si c’est pas parfait, c’est pas grave, on évolueʺ. Je pense qu’il faut que cette diversité linguistique-là prenne le dessus sur les règles de grammaire, sur les exceptions. Les élèves voient tellement ça comme une montagne d’apprendre toutes les règles, d’apprendre les exceptions, d’apprendre l’accord. Ils ne voient pas que leur façon de parler, leur registre de langue, leurs anglicismes peuvent être corrects aussi. […] Moi, j’essaie de leur faire comprendre que dans le fond, peu importe ce que tu fais, il faut juste que tu essaies. »
Ariane, enseignante au secondaire dans l’Est ontarien