Pourquoi?
On affirme couramment que les domaines des mathématiques et des sciences ont une portée universelle. Cependant, une telle assertion ne correspond pas à la réalité. Chaque communauté aborde de manière unique la conceptualisation, la représentation, l’évaluation et l’interaction avec son environnement (Le Pichon, Cavalcante et Cummins, 2022). Des élèves, de l’Ontario ou d’autres régions du globe, ont pu, au cours de leurs premières années de vie, développer des approches mentales ou numériques différentes de celles préconisées par l’institution scolaire. Par conséquent, ces élèves peuvent avoir assimilé des savoirs au moyen de langues et au sein de cultures autres, et ces savoirs revêtent une grande valeur si le corps enseignant décide de les considérer comme des atouts au sein du cadre éducatif. Par conséquent, il est essentiel d’incorporer les expériences de vie des élèves, souvent appelées « fonds de connaissances » (Moll, Amanti, Neff et Gonzalez, 1992), dans l’enseignement et l’apprentissage des STIM afin de les aider à approfondir leur compréhension de ces matières. Les langues et les cultures des élèves ont le potentiel d’enrichir significativement l’expérience d’apprentissage de l’ensemble des élèves dans une salle de classe et de favoriser leur engagement envers les disciplines scientifiques (Le Pichon, Wattar, Naji, Jia et Tariq, 2023), leur offrant la possibilité d’envisager une carrière dans les domaines des mathématiques, de l’ingénierie ou d’autres domaines techniques relevant des STIM.
Il faut retenir que :
- Les pratiques pédagogiques sont des pratiques sociales.
- Les pratiques pédagogiques sont plus efficaces lorsqu’elles sont vécues.
- La prise en compte des langues et des cultures des élèves favorise la compréhension et l’inclusion.
Un concept clé de la théorie socioculturelle est la zone de développement proximal (Vygotsky, 1978). Ce concept implique que les élèves atteignent leurs objectifs d’apprentissage en interaction avec des personnes compétentes. Cela signifie qu’on invite les élèves à résoudre des problèmes dans les domaines des STIM, en collaboration avec d’autres et donc, à passer d’une langue à l’autre lorsque les occasions se présentent. Par exemple, dans un cours sur les probabilités, les élèves calculeront, à l’aide de dés, la probabilité d’obtenir six en lançant le dé cinq fois. Puis, les groupes compareront leurs résultats entre eux. Enfin, la personne enseignante les aidera à comprendre et à construire le sens de leurs réponses et de leurs interprétations. Ces interactions impliquent une coopération, qui exige que l’élève soit responsable d’une tâche qu’elle ou il réalise avec d’autres (la personne enseignante, les parents, une grande sœur ou des pairs). Les interactions permettront aux élèves de développer des compétences essentielles en STIM, telles que l’analyse, la démonstration et la synthèse.
Les théories socioconstructivistes stipulent que nous apprenons sur la base de ce que nous connaissons déjà en fonction de l’espace dans lequel nous évoluons. Par exemple, au Canada, on apprendra le cycle de l’eau à partir d’un paysage canadien, mais pourquoi ne pas utiliser un paysage bangladeshi pour les élèves qui viennent du Bangladesh? On apprendra le système d’évaporation à partir de la cuisson d’une crêpe, mais pourquoi pas d’un chapati? Ainsi, si l’on enseigne la littératie financière, pourquoi ne pas présenter des billets de banque des pays de provenance des familles des élèves afin de comparer les pouvoirs d’achat (voir le clin d’œil Un monde de devises)? En plus, les élèves apprendront mieux si elles et ils ont l’occasion de s’appuyer sur leurs fonds de connaissances (Moll et coll. 1992) et de vivre les STIM de façon plus authentique.
En répondant explicitement au domaine A du curriculum de mathématiques, l’approche plurilingue et pluriculturelle pour l’enseignement en mathématiques offre aux élèves de nombreuses occasions pour « mettre en application, au mieux de ses capacités, diverses habiletés socioémotionnelles pour appuyer son utilisation des processus mathématiques et son apprentissage lié aux attentes et aux contenus d’apprentissage des cinq autres domaines d’étude du programme-cadre de mathématiques » (curriculum de mathématiques, domaine A1).
De nombreuses recherches ont montré que les langues sont des vecteurs privilégiés de mise en commun et de développement des connaissances (Herzog-Punzenberger, Le Pichon et Siarova, 2017; Cummins et Persad, 2014). Il est ainsi, toujours selon la recherche, contre-productif de proposer un enseignement dans une seule langue lorsque la diversité des langues parlées par les élèves peut leur permettre de développer, de façon inclusive, des habiletés et des attitudes mathématiques et scientifiques essentielles à leur réussite (Le Pichon, Cavalcante et Cummins, 2022). Par exemple, dans l’exercice de probabilité proposé ci-dessus, les élèves pourront échanger dans leur propre langue, puis émettre leurs réflexions à la personne enseignante dans la langue de l’école. Le passage d’une langue à l’autre permet à ces élèves de faire le lien entre ce qu’elles et ils apprennent et ce qu’elles et ils savent déjà, tout en leur donnant la possibilité de discuter de ces questions avec des personnes compétentes dans leurs propres langues et donc d’approfondir la compréhension et la rétention des concepts (Cummins et Persad, 2014). On pourra aussi s’interroger sur l’origine historique des concepts comme il est proposé dans l’activité de découverte des apports historiques des différentes civilisations disponible dans la section « Comment ? ». Il est essentiel de laisser une place aux langues et aux cultures dans l’enseignement et l’apprentissage des STIM afin de mieux répondre aux profils linguistiques et culturels variés des élèves et de soutenir la construction d’une identité positive. En plus des avantages cognitifs, des avantages socioémotionnels se manifestent. Ainsi, la valorisation de chaque élève contribuera à une motivation accrue ce qui, en retour, agira sur son investissement dans les matières liées aux STIM (Le Pichon, Cummins et Vorstman, 2021).
« Les écoles doivent tirer profit de ces expériences variées pour que les salles de classe de mathématiques deviennent des endroits consacrés à un apprentissage diversifié et inclusif qui valorise la multiplicité des façons de savoir et d’agir. » (Curriculum de mathématiques de l’Ontario, 2020, p. 73)
Pour aller plus loin
Deux ouvrages clés
Auger, N. et Le Pichon, E. (2021). Défis et richesses des classes multilingues – Construire des ponts entre les cultures. Coll. Pédagogies. ESF Sciences humaines.
Hache, C. et Mendoça, C. (2022). Plurilinguisme et enseignement des mathématiques. Lambert-Lucas.
Rapport en libre accès
Herzog-Punzenberger, B., Le Pichon, E., et Siarova, H. (2017). Multilingual education in the light of diversity: lessons learned: analytical report. Publications Office.
Quatre articles clés
Le Pichon, E., Wattar, D., Naji, M., Cha, R., Jia, Y. et Tariq, K. (2023). Towards linguistically and culturally sensitive curricula: The potential of reciprocal knowledge in STEM education. Language, Culture and Curriculum, 36(3).
Le Pichon, E. et Cummins, J. (2020). Case Study 1. Multilingual programme Studi/Binogi, Dans: The Future of language education in Europe: Case-Studies of innovative practices: analytical report. Publications Office, 44-52.
Lory, M.-P. et Le Pichon, E. (2021). Une pédagogie sensible et adaptée à la culture – Adopter des pratiques équitables et inclusives dans les conseils scolaires de langue française en Ontario.
Cummins, J. et Persad, R. (2014). Teaching through a multilingual lens: The evolution of EAL policy and practice in Canada. Education Matters, 2(1).
Chapitre de livre
Le Pichon, E., Cavalcante, A. et Cummins, J. (2022). L’apport de la technologie pour l’enseignement des mathématiques en contexte plurilingue canadien : une pédagogie revisitée. Dans C. Hache et C. Mendoça (dir.), Plurilinguisme et enseignement des mathématiques. Lambert-Lucas.
Ce qu’en dit le personnel enseignant
Plusieurs personnes enseignantes ont mis en œuvre les approches plurilingues dans le cadre de nos recherches, voici quelques témoignages liés à leurs expériences :
« Lorsque j’ai vu qu’ils étaient capables de faire les exercices en arabe, j’ai enfin compris qu’ils étaient capables de participer à la classe de maths de 6e année. » (Le Pichon, Vorstman et Cummins, 2021).
« J’ai pensé que cette pédagogie me ferait perdre du temps, mais, en fait, non seulement je n’en ai pas perdu, mais mes élèves sont allés beaucoup plus loin dans la découverte des différents mécanismes ou processus. » Témoignage d’une personne enseignante participant aux projets ESCAPE (Le Pichon et Cummins, 2020-2024).